27 d’abriu, 2013
Quand on choisit de créer dans une langue dite « régionale » en France, cela ne va pas de soi (sauf les muets…). À la question, si souvent posée, de l’intérêt aujourd’hui de poursuivre la lutte pour la langue d’oc, j’ai cherché à donner quelques bribes de réponse par ce texte. Il n’a ni la prétention d’être exhaustif, ni celle d’expliquer les raisons de l’engagement de chaque militant. Il explique simplement pourquoi moi et quelques complices de lutte qui se reconnaîtront dans ces idées avons choisi ce combat.
Pourquoi défendre et promouvoir les langues dites « minoritaires » ?
Selon le linguiste Claude Hagège¹, dans cent ans, plus de la moitié des langues du monde encore existantes auront disparu. Phénomène extrêmement rapide qui dénote bien que nous avons affaire à un événement historique extraordinaire, loin d’une mort « naturelle » des cultures. Il s’agit bien d’une des conséquences de l’impérialisme économique et culturel qui impose petit à petit au monde entier une pensée – culturelle, économique, sociale et politique – unique. La culture américaine (ou plus précisément cette global culture) et ses avatars se répandent partout dans le monde, et viennent appauvrir chaque jour un peu plus la diversité culturelle. Défendre et promouvoir les langues minoritaires (pour nous l’occitan), c’est choisir de résister à un mouvement de destruction des cultures, c’est faire le choix de la diversité des voix. C’est accepter et revendiquer le fait que le monde puisse se comprendre de différentes manières, dans des mots et des modes de vie multiples. C’est permettre une ouverture au monde fondée sur l’égalité entre les hommes et entre les cultures.
Une langue minoritaire, c’est aussi un regard différent sur le monde et les événements parce que c’est le regard d’une minorité, en marge du courant principal et de la voix officielle. C’est donc une richesse pour la compréhension des choses. Cela permet aussi une union avec les autres populations minoritaires dans le monde, un bloc alternatif de résistance à l’uniformisation et à la perte de saveurs de la planète.
Spécifiquement pour la France qui a imposé l’unique français à tout le territoire, la défense des langues minoritaires permet de rappeler que ce pays est, dès l’origine, une mosaïque de peuples et de langues. La France a longtemps cru à tort qu’un pays ne peut se construire qu’autour des valeurs nationalistes : un peuple, un état, une nation². A défaut de cette réalité en son territoire, elle a cherché à nier l’existence des peuples minoritaires, et ce faisant, a méprisé son peuple et sa propre richesse. Les langues régionales peuvent permettre à la France d’accepter les différences de toutes sortes (linguistiques, culturelles, religieuses,…), pour sortir enfin du réflexe colonialiste tant ancré et s’ouvrir aux nouvelles populations immigrées.
Situation actuelle de l’occitan et de l’identité occitane
L’occitan aujourd’hui est dans une période de transition majeure. La langue en tant que telle est clairement sur le déclin. Les locuteurs sont estimés à environ quelques millions, mais il s’agit pour la plupart de personnes âgées. Les jeunes, pour l’immense majorité, ne la connaissent pas (hormis les quelques centaines d’élèves des écoles associatives ou des sections bilingues publiques, et quelques militants). En revanche, la langue n’a pas complètement disparu du « cerveau » des occitans. Malgré tant de siècles d’oppression et de répression linguistiques, l’accent dit « méridional » continue bel et bien à se faire entendre. Cet accent (originellement issu du français appris par la population occitanophone) prouve que l’occitan reste présent dans les têtes, qu’il s’est immiscé dans le français d’ici, comme pour se raccrocher malgré tout à la vie (tendons l’oreille à tous les occitanismes du français du sud : les pitchouns, tomber la veste, peguer, pour ne citer qu’eux). Cette présence rend d’autant plus facile le réapprentissage de l’occitan par les « méridionaux ». Mais, si rien n’est fait, ce substrat occitan disparaîtra, et la langue se standardisera complètement, conservant quelques vieux mots comme des pièces de musée. Cette situation n’est donc pas éternelle. Elle n’est qu’une transition. Beaucoup d’occitans ont d’ailleurs d’ores et déjà adopté le français « standard ». Il ne dépend que de nous de savoir si nous voulons sauver l’occitan, lui redonner toute sa vitalité quotidienne ou le laisser définitivement mourir. Il n’est pas encore trop tard pour qu’il revive, mais il ne faut pas tarder.
Il nous semble aussi que l’identité occitane existe encore. En effet, combien de « sudistes » se définissent avec fierté comme des « méridionaux », des gens du soleil, à défaut de pouvoir faire référence à leur vraie identité, l’occitane ? Combien de méridionaux veulent conserver leur accent, le défendent, combien surtout se sentent différents de Paris, proche de l’Espagne, de l’Italie, et cherchent dans ces suds des moyens de contrebalancer la perte de leur propre culture ? « Est-ce le soleil qui transforme mon accent, mon mode de vie, mes coutumes ? », se demandent-ils alors. Cette période de transition linguistique (et donc culturelle) crée un état de déséquilibre identitaire chez les occitans, qui ne savent plus très bien où se situe leur propre culture : pas exactement Paris, pas tout à fait Madrid ni Milan non plus,… La réponse est pourtant claire: nous sommes occitans. Retrouver la langue permettrait de retrouver la culture, et de s’épanouir pleinement dans cette identité (sans avoir à se créer de fausses représentations identitaires ou culturelles). Et être épanoui dans son identité permet, il nous semble, d’être plus ouvert et accueillant aux autres cultures, ne sentant pas la sienne en danger³. Pour l’instant, nous sommes dans une culture affadie, à l’image de ces cathédrales, autrefois peintes de couleurs chatoyantes, qui aujourd’hui n’ont plus qu’une façade grisâtre. Reparler l’occitan, ce serait redonner ses couleurs vives et éclatantes à ce territoire et à ses habitants.
Il dépend de notre génération de savoir quoi faire de notre culture : ou la perdre ou la sauver. En sachant que nous sommes certainement les derniers à avoir ce choix, et que l’occitan ne peut être véritablement défendu et sauvé qu’ici. Il nous incombe donc un rôle, une mission. A nous de l’accepter ou de la refuser…
La langue occitane, point central de la culture
Pour sauver notre culture occitane, ce qu’il importe de sauver en premier lieu, c’est la langue. C’est autour d’elle que se définit la culture. Les territoires occitans⁴ sont ceux où la langue est (ou était) parlée. La langue, c’est aussi l’espace de représentation d’une culture. Retrouver la langue, c’est se remettre à nager dans les eaux de notre culture, c’est se réapproprier notre vision du monde (conservée avec difficulté dans le français méridional). À travers la langue, les occitans pourront ré-exprimer librement leur culture, leur mode de vie et leur mode d’expression particuliers. Hors la langue, pas de salut pour la culture. Sinon, tout n’est plus que folklore de musée, endroit où l’on voudrait cantonner nos identités dérangeantes pour l’Etat français. Il s’agit de sauver la langue et de redévelopper sa pratique sociale.
Pour ce faire, la langue d’oc a la chance d’avoir de nombreux outils déjà créés : des manuels de langues existent depuis longtemps, l’orthographe a été standardisée, les espaces dialectaux définis, etc…
Reste à travailler sur la présence sociale de la langue, en particulier dans les médias, la culture populaire et le monde du travail.
Qui est occitan ?
Qui prendra en charge le renouveau de l’occitan, qui cela regarde-t-il ?
Le monde occitan, c’est l’espace défini par un territoire où l’on parle la langue traditionnellement . Est occitan toute personne qui vit dans cet espace et se sent appartenir à la culture « méridionale » (à défaut de l’appeler occitane, sans oublier que les basques et les catalans se situent aussi dans ce midi géographique) : accent méridional, mode de vie méridional, etc… Peu importe l’origine et le sang. L’Occitanie est une terre d’immigration au moins depuis la fin du dix-neuvième siècle (pour l’immigration récente). Pour autant, les populations d’origine immigrée ont assimilé cette culture, notamment l’accent. Cela met en évidence le fait que l’appartenance occitane existe, et qu’elle touche tous les habitants des pays occitans.
D’ailleurs, la culture d’oc du Moyen-Age défendait déjà l’idée de la convivéncia, du vivre ensemble et de l’accueil de l’étranger. Il ne s’agit donc surtout pas de définir une population véritablement occitane à l’intérieur des territoires occitans, qui aurait à prendre en charge la défense de son ethnie, mais au contraire de défendre une culture qui nous parle à tous ici, au-delà des origines individuelles. L’occitan et sa culture, c’est l’affaire de tous les habitants des territoires occitans.
Il nous faut donc décider si nous souhaitons conserver notre spécificité occitane et, par là, nous inscrire dans un mouvement global de défense des diversités culturelles, ou si nous préférons adopter définitivement la culture principale de Paris (et demain celle de New-York ou Pékin, en version globalisée) et suivre la voie de l’uniformité. Nous avons fait notre choix, à chacun de faire le sien.
Notes
1. Halte à la mort des langues, Claude Hagège, Odile Jacob, 2000
2. À ce sujet, voire l’excellent La théocratie républicaine, de SURRE GARCIA Alem (L’Harmattan, juin 2010), dans lequel l’auteur définit « l’équation suprême » du nationalisme français : « Un seul Etat égale une seule Nation égale un seul Peuple égale une seule Patrie égale une seule Histoire égale une seule Langue égale une seule Culture.»
3. L’éditorialiste du journal occitan en ligne Jornalet notait il y a quelques jours suite aux élections européennes (de mai 2014) que les régions à identité forte et populairement admise (Corse et Bretagne en tête) n’avaient pas succombé à la vague Front National et avaient en revanche donner de bons résultats pour les partis « européistes et favorables aux droits des peuples sans états », formant un « cordon sanitaire contre l’extrême droite et le populisme » (« los movements europeïstas e favorables als dreches dels pòbles sens estat son un mur natural e un cordon sanitari contra l’extrèma drecha e lo populisme. », »Occitanisme politic : la restanca contra lo Front National »). Ce qui ne fut malheureusement (et honteusement) pas le cas dans les pays d’oc…
4. Les pays occitans : Provence, Drôme-Vivarais, Auvergne, Limousin, Guyenne, Gascogne (dont le Val d’Aran en Espagne), Languedoc, Vallées Occitanes (Italie).
Molt bé. Però potser un primer pas hagués estat escriure aques text en occità i no pas en francès, oi?
Accepti la critica. Mès vos cau comprénguer que nosautes, dins les paises occitans, nos cau tanben comunicar en Francés, entà que les occitans poscan comprénguer (que la part màger deus occitans, com ac sabetz, son francofones). Aqueste texte a per meta de hèr comprénguer l’interés de tornar parlar en oc, entàus qu’ac parlan pas encara. Siquenon, seré un texte d’auto-persuasion, cap a occitanistas ja convençuts… Mès, segur, i aurà textes en oc força lèu. Mercés peu comentari en tot cas.